RENCONTRE
Jacques Rivière, un centenaire à la mémoire vive
À Vendœuvres, Jacques Rivière, ancien professeur et dernier directeur de l’école agricole de Lancosme, porte un regard critique sur l’enseignement agricole et sur l’avenir de l’agriculture.
À Vendœuvres, Jacques Rivière, ancien professeur et dernier directeur de l’école agricole de Lancosme, porte un regard critique sur l’enseignement agricole et sur l’avenir de l’agriculture.
A102 ans dans quelques semaines, Jacques Rivière vit toujours dans sa maison de Vendœuvres, entouré de sa fille Catherine, retraitée depuis 2019. Tandis qu’elle s’affaire au jardin ou dans les associations du village, lui passe ses journées à cultiver son intellect.
Son bureau, envahi de livres et de journaux, est son royaume. « Je lis un quotidien local et un national, ainsi que des romans. Des policiers en ce moment, ça fait travailler les méninges », confie-t-il. Sa fille ajoute : « Tous les mois, j’emprunte à la médiathèque sept pavés de 700 à 800 pages. Il a eu sa passe d’œuvres historiques, politiques… »
Né à Vierzon le 7 janvier 1923, orphelin de père à 11 ans, Jacques Rivière est élevé par son oncle, vicaire général du Cher. Après le bac et les chantiers de jeunesse, il entre dans l’Éducation nationale. En 1946, il rejoint Notre-Dame des Blés, plus connue sous le nom d’école d’agriculture de Lancosme, comme « professeur de français, mathématiques et physique-chimie ».
L’établissement, qui comptait 40 élèves à ses débuts, en accueillera jusqu’à 120 par an. « Pendant 40 ans, de 1944 à 1985, on a eu près de 1 500 élèves, se souvient le centenaire. Dans les années quarante-cinquante, l’État se désintéressait complètement de l’enseignement agricole. Il a fallu attendre les années soixante pour que les lycées agricoles voient le jour. C’étaient donc des écoles privées comme Lancosme qui assuraient cette mission d’enseignement général et agricole. »
À la sortie, pas de diplôme officiel, mais celui de l’école, attribué « à ceux qui avaient une moyenne respectable ». Directeur de 1971 à 1985, il fermera l’établissement : « J’ai eu la tâche de vendre les lieux pour rembourser les dettes, dont les financements alloués par l’archevêché de Bourges. »
Engagé et connecté
À la retraite, il s’investit dans le milieu associatif de Vendœuvres : « J’avais du temps, je voulais rester actif », lâche-t-il dans un rire. Il avait intégré le comité des fêtes en 1970 où, après avoir été secrétaire, il en a été le président jusqu’en 2002. « À 80 ans, j’ai passé la main, j’avais fait mon temps. » Jusqu’à 99 ans, il s’affairera dans son jardin, à son rythme.
Désormais, il reste des heures « dans sa pièce », mais il n’en est pas pour autant coupé du monde. Pour preuve : l’ordinateur installé sur un second bureau. « Et je m’en sers. J’ai pris des cours au club informatique de Vendœuvres quand j’avais 70 ans », relève-t-il, et sa fille d’ajouter : « Il envoie encore des mails avec pièces jointes ! » Cette méthode de communication lui permet de rester en contact avec ses anciens élèves et l’amicale des anciens élèves, dont il est président d’honneur.
Un regard lucide sur l'agriculture
Ses activités cérébrales, couplées à l’expérience de l’âge, permettent à Jacques Rivière de porter un regard critique et tendre sur le monde agricole. « J’ai accompagné à Lancosme plusieurs générations d’agriculteurs du département et des départements voisins. Ils ont tous fait un travail extraordinaire », considère-t-il.
Ce qui ne l’empêche pas de s’inquiéter pour l’avenir des exploitants actuels et des jeunes. « Avant, l’Algérie importait 30 % du blé français ; désormais, le pays s’est tourné vers le marché russe. Le Mercosur, l’accord est bien gentil pour les commerçants français qui vont pouvoir vendre en Amérique latine, mais il va détruire l’agriculture française en faisant entrer des produits ne répondant pas aux mêmes règles que les nôtres », analyse-t-il, dénonçant au passage « la taxation Trump sur les vins et cognacs français ».
« On a connu des crises agricoles, mais elles étaient moins complexes que maintenant. Il y a trop d’enjeux de politiques mondiales, trop de normes pour les agriculteurs français. Il faudra du courage aux jeunes générations pour ne pas abandonner l’agriculture », conclut Jacques Rivière, avant de se replonger dans son roman.