Botanique insolite
Plantes et bestiaire de la ferme
Ane, chien, chat, cheval, chèvre, bouc… Ces animaux de la ferme ont des affinités avec quelques plantes sauvages. Ils les recherchent, les utilisent, parfois les consomment ; ou bien, affichent de troublantes ressemblances avec elles. Fins observateurs et très liés à leur environnement, les Anciens avaient bien perçu le manège, au point de donner des références animales à certaines, assez familières. Petit bestiaire…
La Prêle des champs Equisetum arvense fait nettement allusion au cheval : Equis, et setum sont deux mots latins qui signifient respectivement « cheval » et « crin ». Le lien avec l’animal est donc évident, net dans le langage de tous les jours : aujourd’hui encore, les agriculteurs la nomment telle parce que, de fait, elle ressemble au « crin » de la « queue » d’un cheval. D’autres, peut-être, lui préfèrent « queue de Renard », « queue de Rat » ou « queue de Chat » quoique le latin milite clairement pour le cheval. Cela dit, peu importe la sémantique : car qui se réjouit d’observer la prêle dans son champ ? Elle est du genre envahissant et, qui plus est, pourvue de très longues racines, difficiles à extirper.
Chien et rhizome
Le chiendent, c’est une autre affaire. Là encore, peu de monde l’apprécie, surtout s’il campe dans son jardin. En fait, le mot évoque deux espèces de genres différents : le « gros » Cynodon dactylon et le « petit » Agropyryum repens. Mais toutes deux font allusion au canidé. La raison ? Ils possèdent de longs rhizomes sur lesquels poussent de fines lames blanches qui, paraît-il, ressemblent aux crocs d’un chien encoléré. A cette première explication, s’en ajoute une deuxième : l’animal qui, de temps à autre, a besoin de se purger, aime gratter la terre à la recherche desdits rhizomes. Son instinct lui donne raison car la science a montré qu’ils sont dépuratifs. Enfin, intervient un troisième motif, du domaine de l’affectif, voire de l’allégorie : le chiendent se plaît tant au potager qu’il lui montre une forme de fidélité à toute épreuve dont, on s’en doute, le propriétaire se passerait volontiers. Comme incrusté, il fait partie de l’enclos familial, un peu à la manière du chien dévoué à « sa » maison.
Le saule pour La Chèvre
Le saule marsault Salix caprea (photo du haut), quant à lui, copine avec la chèvre (en latin capra). Entre eux, l’entente est alimentaire : le premier propose des feuilles dont la seconde raffole, surtout si elle n’a rien d’autre à se mettre sous la dent. Ce qui arrive en période de pénurie, foin rare ou de mauvaise qualité. Les agronomes d’hier considéraient que, de ce point de vue, le feuillage faisait un excellent fourrage. Et chanceux était alors le paysan qui, près de chez lui, disposait de saules. L’arbuste pousse bien près de l’eau (la Brenne le connaît bien), à tel point qu’il y forme des fourrés inextricables, avec des branches dans tous les sens, façon bayou de Louisiane ou de Floride.
Le « pas de l’âne »
L’âne, lui, proclame ses affinités avec le tussilage Tussilago farfara. La plante se nomme « pas d’âne », «Pied de cheval », « Pied de poulain ». Mais le premier a la préférence des puristes simplement parce que, arrondies et en cœur à la base, ses grandes feuilles ressemblent furieusement au « pas d’un âne ». Et qui, le fait est assez rare pour être relevé, se développent bien après la floraison (qui a lieu au cœur de l’hiver), ce qui lui vaut l’autre appellation de Filius ante patrem « le fils avant le père ». Pour autant, l’âne ne montre pas une appétence spéciale à son égard.
Valériane et pipi de chat
La valériane Valeriana officinalis est d’un autre genre : elle se nomme « Herbe aux chats ». Pour deux raisons. La première réside dans le fait qu’elle développe une odeur particulière, bien à elle, que d’aucuns n’hésitent pas à comparer à du pipi de chat. Ce qui nous semble plutôt juste, même si tous les goûts sont dans la nature, d’autres personnes se montrent, à son sujet, moins péremptoires. Disposé dans un joli vase, un plein bouquet produit pareil effet, finissant à la longue par indisposer la tablée familiale et la convivialité du jour. Mieux vaut donc l’éviter et, tant qu’à faire, préférer une gerbe de roses. Pourtant, la fleur est magnifique, toute en délicatesse de rose et de blanc, quasi virginale. La deuxième raison regarde encore le chat qui, apparemment, s’en délecte. Dès qu’il en sent les relents, il se précipite sur elle, l’étreint, se roule et s’excite dessus. Cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, il ne manque jamais de l’arroser de sa propre urine, ce qui renforce le fumet et, pour qui passe à proximité, attise la désagréable impression d’être cerné de pipi de chat.
L’herbe à la belle-mère
L’Orchis bouc, enfin, Loroglossum hircinum. Lui appartient au monde des orchidées, monde délicat s’il en est, tout en élégance. Robuste, ami des prés et des coteaux sablonneux, il déploie, au mois de mai, de curieuses fleurs verdâtres, finement ciselées qui, épanouies, dégagent une violente odeur de bouc. Nous y voilà… Car les mauvais esprits racontent que, tout en affection pour sa chère belle-mère, le gendre se fend pour elle d’un plein bouquet, soulignant ainsi l’infini respect qu’il lui voue. Pas bête, ladite belle-mère comprend le message… Quoi qu’il en soit, l’Orchis bouc est une magnifique orchidée dont on ne peut qu’admirer la subtile architecture. Les exemples de ce genre ne manquent pas. Ils montrent bien à quel point, savants ou analphabètes, les anciens savaient observer, réfléchir, créer des liens suggestifs entre la plante et la bête domestique. De son côté, l’animal sauvage n’échappe pas à la règle… Mais ceci est une autre histoire