Aller au contenu principal

Hier, « la chasse » aux engrais

Jusqu’il y a peu, le fumier était perdu pour les terres agricoles. Il a fallu attendre le Siècle des Lumières pour que les vertus fertilisantes de l’engrais organique commencent à être reconnues.

Les engrais chimiques sont apparus à la fin du XIXe  siècle, sous l’impulsion du chimiste allemand Justus Liebig puis utilisés à grande échelle dès les années 1950. Auparavant ? On fertilisait les sols comme on pouvait. Autrement dit, très peu… Il faut dire aussi que le paysage agricole n’avait pas grand-chose à voir avec celui que nous connaissons aujourd’hui. Très schématiquement, on distinguait les terres agricoles, essentiellement consacrées à la production de grains nourriciers que la jachère temporairement laissée au pâturage des bêtes domestiques permettait de reposer, voire de nourrir et, à côté, les terres incultes, les friches, landes et autres prés mouillés servant de pacage. Le fumier était donc largement perdu pour les terres agricoles. Et jusqu’à ce que les Physiocrates du Siècle des Lumières lancent véritablement la science de l’agro nomie, le constat fait était celui d’une agriculture vivrière, d’autosubsistance. On soupçonnait bien les vertus régénératrices de « l’engrais » organique mais, encore peu avancée, la science les expliquait mal. On prélevait alors cet engrais dans des déchets, selon des procédés qui, aujourd’hui, prêtent certainement à sourire.

DES VÉGÉTAUX  DE TOUTES SORTES 

Il y avait d’abord le contenu des fossés voisins, riches en débris végétaux. Botaniste et agronome du Siècle des Lumières, l’abbé Rozier, explique fort bien que « s’il survient une pluie un peu forte, l’eau détrempe la terre, dissout l’humus et l’entraîne dans le fossé… elle a entraîné tous les principes constitutifs de la végétation, les y a accumulés, surtout si le fossé ou la mare ont été assez spacieux pour contenir toute cette eau sans la laisser écouler »*. Il y avait aussi des feuilles et des brindilles, des fougères, des bruyères et des genêts, toutes sortes de végétaux que l’on ramassait dans les bois puis que l’on entassait dans des « fosses profondes », afin qu’ils macèrent et fermentent pour un futur terreau. 

FUMIER ANIMAL 

Côté animal, la recherche était identique. On jetait son dévolu sur tout ce qui portait chair, sang, os, urine, corne, excréments de toutes sortes… Tout ce menu glanage était ensuite regroupé, laissé à décomposition, protégé aussi afin qu’il conservât ses principes engraissants. On voyait alors de gros tas orner le centre de la cour, foyers putrides qui n’amélioraient certainement pas la santé des habitants proches. Se collectaient aussi les petites billes des moutons et des chèvres mises au parcage, fermentant sur un lit de paille. 

LES HOMMES  MIS À CONTRIBUTION 

Mais, indique aussi le savant abbé : « même les matières que les hommes ont employées à leurs usages » étaient mises à profit. A cette époque, la tinette (ou cabane) au fond du jardin que nos arrières-grands- parents alors enfants devaient rejoindre la nuit après un long chemin d’angoisse, n’existait pas encore. Le dépôt se faisait sans chichi ni manière, quoique selon une hiérarchie bien établie. 

TANT D’ENGRAIS PERDU … 

Et se désole encore plus lorsqu’il remarque : « Il est bien étonnant que dans plus de la moitié du royaume, on laisse perdre cet engrais si supérieur ». A la campagne comme à la ville, d’ailleurs. De fait, un peu plus tard, Victor Hugo s’inquiétera pareillement de voir les déchets humains, végétaux et animaux, rejoindre la Seine et non pas fertiliser les champs du voisinage. Il en chiffra même les pertes : « Paris jette par an 25 millions (francs de l’époque)… Employer la ville à fumer la plaine, ce serait une réussite certaine… Notre fumier est or. La statistique a calculé que la France à elle seule fait tous les ans à l’Atlantique, par la bouche de ses rivières, un versement d’un demi-milliard. A cela, deux résultats : la terre appauvrie et l’eau empestée… ».** De toutes façons, au-delà de ces pertes, toutes ces menues récoltes, qui pourtant réclamaient du temps, suffisaient à peine à engraisser le jardin où poussaient herbes et légumes pour la soupe quotidienne. Un jardin, cela va sans dire, surveillé comme le lait sur le feu. Quant au reste de l’espace agricole, il en restait pour ses frais, ne devant compter que sur lui-même pour se refaire une santé, sur le temps qui passe et la nature qui répare, enrichit… Autrement dit, sur la durée.

*Abbé Rozier, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire, 1781-1800. 

**Victor Hugo, les Misérables, 1862.

Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 89€
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site L'Aurore Paysanne
Consultez le journal L'Aurore Paysanne au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter du journal L'Aurore Paysanne
Sous-titre
Vous êtes abonné(e)
Titre
IDENTIFIEZ-VOUS
Body
Connectez-vous à votre compte pour profiter de votre abonnement
Sous-titre
Vous n'êtes pas abonné(e)
Titre
Créez un compte
Body
Choisissez votre formule et créez votre compte pour accéder à tout {nom-site}.

Vous aimerez aussi

Fourragères estivales : de premiers résultats à confirmer

Pour évaluer le rendement des espèces fourragères d’été et leurs valorisations par les animaux, la ferme expérimentale conduit depuis 2023 un essai

Le plan de continuation de l’abattoir Berry Bocage validé

Dix-huit mois de travail ont été nécessaires pour sécuriser l’outil de St-Amand-de-Montrond.

Pac : « une prestation personnalisée pour un dossier bien ficelé »

 Sur près de 3 000 déclarations Pac du département sont réalisées à 50 % par des agriculteurs épaulés par un prestataire.

Les saveurs du Sud-Ouest, mais pas que, régalent La Buxerette

Depuis le 15 mars 2023, Audrey Dutreuil et Mickaël Roca ont redonné vie au centre-bourg de La Buxerette en reprenant le restaurant du village.

Crise agricole : point sur les mesures locales

Présent sur l’autoroute lors des blocages du mois de janvier, Thibault Lanxade, le préfet de l’Indre, avait attentivement écouté les revendications

Plus d’un contrôle phyto sur deux conduit à une pénalité

Le durcissement des contrôles phytos depuis 2023 est synonyme de pénalité dans plus d’un cas sur deux.

Publicité