MAL-ÊTRE AGRICOLE
Suicide : « Parlons-en »
Longtemps considéré comme tabou, le mal-être agricole est sorti de l'ombre depuis quelques années. Grâce notamment au réseau des sentinelles, la détection est facilitée et des actions ciblées se mettent en place.
Longtemps considéré comme tabou, le mal-être agricole est sorti de l'ombre depuis quelques années. Grâce notamment au réseau des sentinelles, la détection est facilitée et des actions ciblées se mettent en place.


Conditions climatiques désastreuses depuis plus de quinze mois, faibles récoltes et vendanges en 2024, emblavements 2025 menacés, trésorerie à sec, comptes dans le rouge… autant d'éléments qui alimentent le blues dans les campagnes. Quand par ailleurs s'ajoutent des embûches dont la vie est parfois pavée, le sentiment qu'aucune solution ne se profile à l'horizon et d'être aspiré par une spirale infernale prédomine.
Des questions claires
Ces situations de mal-êtreNotre maître-mot : on ne laisse personne sans solution
impactent fortement les familles, lesquelles craignent parfois que leur proche commette l'irréparable. Quels sont les signes qui peuvent les mettre en alerte ? « Des changements d'habitude, des propos comme : ce sera bien quand je ne serai plus là », décrit Mme Bisiaux, référente mal-être à la MSA Berry Touraine, qui invite à réagir si on s'en sent la capacité, jusqu'à poser la question : “ est-ce que tu as pensé à te suicider ? ” « En parler ne précipitera pas l'acte, cela fait baisser la souffrance. Il faut démocratiser le “je m'inquiète pour toi ”, ce n'est pas intrusif », assure-t-elle.
Elle pointe d'ailleurs que signifier le fait qu'on est inquiet pour quelqu'un n'est pas la même chose que de dire : tu m'inquiètes. Cette dernière formulation ajoute du mal-être. Elle recommande aussi que : « pour avoir des réponses claires, il faut des questions claires. Si on ne le sent pas, on ne la pose pas. Il faut se faire confiance et vulgariser la reliance. Face au mal-être, tout le monde est important. » Et une fois qu'on a identifié le mal-être vers qui se tourner ?
400 sentinelles en Centre-Val de Loire
Dans le secteur agricole en particulier, le suicide a longtemps été volontairement ignoré car jugé tabou. Comme si en parler, c'était donner l'idée et donc favoriser le passage à l'acte. Un concept totalement erroné qui va à l'encontre de toute politique de prévention.
En 2019, le film d'Edouard Bergeon « Au nom de la terre » a contribué à une prise de conscience, en mettant en lumière les problèmes rencontrés par les agriculteurs susceptibles d'opter pour cette issue fatale. Depuis, les pouvoirs publics ont pris le problème à bras-le-corps en déployant un plan comportant trois volets, dont la constitution d'un réseau sentinelles.
En Centre-Val de Loire, celui-ci a été confié aux caisses de MSA. Un temps plein a été détaché par la caisse Berry Touraine depuis 2022 pour un référent programme mal-être. « Notre maître-mot : on ne laisse personne sans solution », résume Mme Bisiaux qui en a la charge.
400 sentinelles ont été formées dans la région. Il s'agit d'acteurs volontaires (retraités, salariés d'organisations professionnelles agricoles, élus, agriculteurs…), proches des agriculteurs. Ils ont tous suivi une formation pour les sensibiliser au suicide. Leur mission : « être les yeux et les oreilles de notre territoire », précise la référente pour repérer le plus précocement possible les situations de détresse et de mal-être.
Désamorcer la crise
Ce sont des maillons essentiels car plus la prise en charge est faite en amont. « Plus le panel de solutions est large, plus on a de manœuvre pour aider, plus vite on ira vers le soin, plus vite on sera rétabli », insiste Mme Bisiaux.
Dès que l'alerte est donnée, la cellule mal-être sollicite l'un ou l'autre de ses partenaires pour fournir une première réponse dans la journée. DDT, chambre d'agriculture, MSA, coopérative… la cellule a partout un contact privilégié qui « met tout en pause pour répondre à la personne en difficulté », indique-t-elle.
Cette cellule (tél. 02 47 31 62 73) peut être contactée directement par l'intéressé lui-même, par un proche ou un partenaire de l'exploitation « de 9 à 17 h les jours ouvrables. Il y a toujours quelqu'un qui répond », poursuit-elle.
Outre cette cellule, la référente liste les autres relais existants : « le 15, Agri'Ecoute, 3114 peuvent être appelés 24 h sur 24 ». Au bout du fil, des personnes habilitées et formées au risque suicidaire peuvent aussi donner des renseignements. Si elles le jugent nécessaire, elles envoient des secours quand la situation est trop urgente.
Une aide au répit
S'ajoute à ce dispositif une aide au répit pour faire face à l'épuisement professionnel. Elle permet de bénéficier d'un financement pour se faire remplacer sur son exploitation durant 7 à 14 jours, avec un renouvellement possible.
Par ailleurs, à titre expérimental, la MSA Berry Touraine a mis en place une aide au répit administratif, en allouant une somme pour financer cinq demi-journées de secrétariat. Via le service de remplacement, une secrétaire se déplace dans l'exploitation pour remettre en ordre les papiers. Elle apporte un soutien sans se substituer à l'exploitant qui reste maître de son entreprise.
Enfin, la MSA Berry Touraine a passé des conventions avec des psychologues et prend en charge au maximum douze séances (après accord de la caisse).
Contacts
• Cellule prévention mal-être MSA Berry Touraine : tél. 02 47 31 62 73 (9 à 17 h les jours ouvrables) - prévention.suicide@berry-touraine.msa.fr.
• Agri'Ecoute (24h/24 et 7 j/7), tél. 09 69 39 29 19.
• Numéro national de prévention suicide : 3114.